Bonjour Flore, peux-tu te présenter ?

Jai 29 ans et suis nantaise depuis mes quatre ans.

Après une formation darchitecte dintérieur, jai fondé deux restaurants appelés « Le Reflet », lun en 2016 à Nantes et lautre en 2019 à Paris, où je passe en moyenne deux jours par semaine.

 

Peux-tu nous parler de ton parcours et de la création des restaurants « Le Reflet »?

Issue dune famille de trois enfants, jai deux grands frères : Michaël, qui a 35 ans et Cédric, qui a 33 ans et qui est porteur de trisomie 21.

Après un baccalauréat littéraire, jai passé un CAP Esthétique car mon rêve était de faire du maquillage artistique. Pendant ce CAP, lune de mes professeurs ma conseillée de changer de voie en choisissant une « prépa » darts appliqués. Je me rendais alors bien compte que je visais un secteur dans lequel il y a beaucoup de candidats et très peu d’élus.

Je suis donc partie à l’école Pivaut, à Nantes et, à la fin de mon cursus, je me suis naturellement dirigée vers larchitecture dintérieur, en terminant par un stage de six mois. Je devais avoir également un projet « archi » et un projet « objet » et, comme il fallait travailler dessus durant un an, jai cherché quelque chose qui mattirait vraiment !

Assez vite, le handicap et linclusion ont été une évidence. Pour réaliser un bon projet « archi », il faut quil y ait du sens, un besoin et que tout ce quon mette en place ait une explication : rien ne doit être là par hasard.

Jai eu donc envie de plancher sur un lieu dans lequel les personnes porteuses de trisomie 21 pouvaient travailler, en étant un maximum autonomes et en tenant compte des difficultés quelles pouvaient rencontrer. Il fallait repenser lespace, les aménagements, les objets, etc.

Je nai pas imaginé ce lieu pour mon frère, car il travaille en ESAT et sy sent bien, mais plutôt pour des personnes comme lui.

Quand j’étais plus jeune, je voyais le regard des autres et cela me touchait. Aujourdhui, ce regard a évolué dans le bon sens. Mais il nempêche quil reste plein de choses à faire !

Ce lieu existe pour changer le regard et montrer que les personnes porteuses de trisomie 21 peuvent travailler.

Je souhaitais aussi créer un lieu qui sadapte à eux, et non linverse.

Lorsque jai présenté mon projet en 2014, il y a eu beaucoup de retours positifs de la part des professeurs et des personnes venues aux portes ouvertes. Jai vu énormément de bienveillance, contrairement à ce que je pouvais ressentir plus jeune avec Cédric.

Il y a ensuite eu un enchaînement de rencontres grâce à mon maître de stage, qui ma permis de faire la connaissance dun expert-comptable et dun avocat, aujourdhui associés du restaurant. Pendant un an, en parallèle de mon métier darchitecte, jai été partout où lon memmenait, où je pouvais.

En juin 2015, on a réuni toutes les personnes intéressées par le projet. Cette réunion regroupait plein de profils différents, lenvie étant de concrétiser le projet du Reflet, en fondant en premier lieu une association (Les Extraordinaires).

Dès la deuxième réunion, en septembre 2015, on a réalisé quil fallait trouver un moyen de réduire nos coûts de fonctionnement en supprimant le loyer, si lon souhaitait sinstaller dans le centre-ville de Nantes. On a choisi de devenir propriétaire des murs, ce qui enclencha une levée de fonds et la création dune SAS. Lassociation a été conservée, permettant à la fois dintégrer le comité de pilotage de la SAS et de garantir les valeurs morales du projet.

On a ensuite cherché des financements sur la SAS auprès dactionnaires ayant plutôt un profil de mécènes, car ce placement navait pas pour objectif de rapporter de largent.

Le dernier trimestre 2015 a été consacré à l’établissement dun modèle juridique et au travail dun business plan.

En janvier 2016, les statuts étaient définis.

Nos premiers actionnaires étaient Sophie et Sébastien, qui ont 4 enfants, dont le dernier est porteur de trisomie 21. Grâce à eux, on a pu crédibiliser le projet car ils ont apporté beaucoup de fonds et mobiliséleur réseau. On naurait pas pu ouvrir le Reflet sans eux.

Au printemps 2016, 400 000 euros ont été levés.

Dans le même temps, on a cherché un local.

Celui que lon a acheté était le seul que jai visité avec lun des membres de l’équipe projet, ancien directeur de France Boissons, qui accompagne des restaurateurs dans leurs démarches de création. On la visité en avril, on a signé le compromis en juillet et le 25 octobre 2016 a eu lieu la signature définitive.

En parallèle, en juillet 2016, le permis de construire a été déposé et les travaux ont commencé début octobre. Tout a été refait en cinq semaines (on y était soir et week-end !).

Comme personnes « ordinaires », on a recruté une personne en salle et deux personnes en cuisine, aidées le soir par une personne à la plonge et un commis à temps partiel. Les autres employés sont porteurs de trisomie 21, et nous accueillions régulièrement des stagiaires. 

Le restaurant Le Reflet à Nantes a ouvert le 15 décembre 2016.

Ouest France a alors publié un article à la fin du mois doctobre et, à partir de là, des journalistes étaient constamment présents. Il y a eu un engouement médiatique incroyable, le restaurant a été rempli tout de suite et ce, pendant des mois ! Cette période nous a beaucoup portés.

Mais, en parallèle, le challenge était que Le Reflet soit reconnu comme un restaurant de qualité, et pas juste comme un projet social !

Durant toute la période du montage du projet et la première année dactivité, je travaillais encore à côté en tant quassociée dans un cabinet darchitecture dintérieur. Mais, quand on a lancé le projet parisien, jai décidé darrêter mon métier pour me consacrer à plein temps au Reflet et à lassociation Les Extraordinaires.

On ma créé un poste à Paris, mais jai également conservé un statut dauto-entrepreneur pour continuer quelques missions darchitecture dintérieur.

Si je veux continuer à être présente et investie comme je le suis actuellement (ce qui est nécessaire au bon fonctionnement des restaurants), je ne souhaite pas ouvrir dautres restaurants. Lobjectif est de les pérenniser et quils servent de modèles, de démonstration. Jaimerais que cela soit inspirant pour dautres et quil y ait un essaimage naturel.

Pour linstant, on ne peut pas aller au-delà du partage dexpérience mais, plus tard, quand les deux restaurants me le permettront, jaimerais me dégager du temps pour pouvoir davantage les accompagner.

Cest ce que va justement permettre lassociation. Ainsi, on a récemment créé deux postes afin de la faire évoluer, à la suite dune demande de commerçants voisins du Reflet à Nantes, qui nous avaient demandé comment faire pour embaucher une personne porteuse de trisomie 21, ce quelle était capable de faire, etc.

Il y a vraiment une volonté d’éclairer ce manque de connaissance autour du handicap. On pense que linclusion est une histoire de rencontre que lon souhaite faire « matcher » afin quelle soit durable. On veut être des créateurs de liens de confiance.

Nous avons pour cela mis en place de nouveaux projets au sein de l’association : la création d’un magazine web « Le Mag » qui met en lumière les initiatives et les personnes qui oeuvrent pour l’inclusion , une chaîne Youtube « Chefs Extraordinaires », un collectif « Les Projets hors normes » pour accompagner et fédérer les projets d’inclusion , ainsi que « Décloisonner l’emploi », une proposition de sensibilisation des entreprises et de mise à disposition des outils nécessaires pour intégrer des personnes en situation de handicap dans leurs équipes .

Le Reflet est finalement une manière daccueillir la fragilité de lautre pour reconnaître et assumer la sienne. Une idée dautant plus soulignée par le nom des restaurants !

Comment arrives-tu à surmonter les moments de doute et les difficultés?

Obtenir les autorisations de travaux de mise en conformité a été un vrai cauchemar. Et il était bien entendu impossible de faire marche arrière, javais sollicité trop de monde !

Mais, à chaque mésaventure, des personnes sont toujours venues nous aider ou débloquer une situation (par exemple, administrative).

Ce qui est difficile, dans ces moments-là, c’est que l’on a envie d’être avec son équipe qui se forme et qui fait connaissance, et non de se battre sur des sujets administratifs !

Aussi, il faut toujours prouver l’utilité et la nécessité des actions menées, ainsi que convaincre des personnes qui, par principe, disent non au premier abord. Cela demande beaucoup de patience et de self-control !

 

Quest-ce que cela exige de toi ?

Cela demande de rester solide face au stress et à limprévu, aux déconvenues.

Heureusement, nos salariés savent nous rendre ce quon leur donne au centuple. Les voir heureux et voir nos clients satisfaits sont notre récompense ultime !

Quelles sont les valeurs qui guident tes décisions ?

Le bien-être et l’épanouissement de nos employés sont les fils rouges du Reflet.

Pour cela, il faut beaucoup de patience, de pédagogie, de bienveillance, d’écoute, dadaptation. Mais, avec ces qualités, on peut déplacer des montagnes !

Quels sont les enseignements que tu retiens de ces dernières années?

Être persévérant et suivre son intuition.

Ce projet est, en réalité, très rassurant sur l’espèce humaine car il permet de fédérer et de rassembler des énergies. C’est avec toutes ces énergies, les mêmes depuis le début, qu’on a pu ouvrir les restaurants !

 

 

 

Pour aller plus loin : 

Site des restaurants « Le Reflet »

Site de l’association « Les Extraordinaires »

Vidéo présentant l’équipe du Reflet

Podcast « Génération XX »

Podcast « RayonNantes »

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