Bonjour Tanguy, peux-tu te présenter ?

J’ai 41 ans, je suis le second d’une famille rennaise de trois enfants et je partage ma vie entre Rennes, Paris et pas mal de déplacements !

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Peux-tu nous parler de tes différentes activités?

Difficile de parler des différentes facettes de mon parcours sans évoquer mon handicap.

A l’âge de trois ans, on m’a diagnostiqué une maladie neuromusculaire, l’amyotrophie spinale infantile, sorte de cousine de la myopathie. Cette maladie évolutive touche l’ensemble des muscles du corps. Mes parents m’avaient fait faire des examens car quand je marchais, je tombais beaucoup, sans raison valable, et je fatiguais au niveau de la marche. En grandissant, mes muscles n’ont pas pu se développer et avec l’augmentation du poids, j’ai dû arrêter la marche vers 9-10 ans. Mes activités sportives ont probablement ralenti l’évolution de la maladie.

J’ai une faiblesse extrêmement importante au niveau musculaire et pour donner un exemple, je ne peux pas porter une bouteille d’eau d’un litre. Je peux cependant écrire et conduire (grâce à un joystick, merci les nouvelles technologies !).

Je suis assez autonome dans ma vie au quotidien, il y a juste quelqu’un qui vient m’aider le matin pour mes soins et pour m’habiller.

On a tendance à mettre tous les handicaps dans le même panier, personnellement j’ai un handicap de naissance, et ne suis pas passé d’un état de valide à un état d’invalide. J’ai toujours vécu avec, comme certains ont des problèmes de vue et auront des lunettes toute leur vie. J’ai le sentiment qu’un handicap de naissance est plus facile en terme d’approche qu’un handicap suite à un accident par exemple, qui lui peut entraîner également un traumatisme psychologique.

Aujourd’hui, j’ai développé plusieurs activités, toutes aussi importantes les unes que les autres pour moi.

La 1ère est sur le plan professionnel, avec la découverte du monde entrepreneurial.

A ce jour, j’ai deux structures : un cabinet de recrutement que j’ai créé en 2006 qui s’appelle « Défi RH » et qui est spécialisé dans le recrutement de travailleurs handicapés. Et il y a dix ans, j’ai repris l’entreprise familiale que mon père avait créé, qui s’appelle « Home Diffusion » et qui distribue des objets publicitaires aux entreprises.

Ce qui m’intéresse, c’est de voir une entreprise évoluer, les idées qu’on peut y développer, comment on gère les moments difficiles, tout en gardant en tête qu’il faut bien sûr des bénéfices financiers.

J’aime la variété de mes activités : une entreprise de service et une autre de négoce, une que l’on a créé et une autre qu’on a repris. Je continue à m’associer à d’autres structures, toujours avec des amis ou de la famille ; j’aime la proximité, la relation de confiance que l’on a déjà, le partage dans les moments faciles mais aussi difficiles. C’est clairement plus les échecs et les difficultés qui m’ont permis de grandir et de réussir. Je ne me verrai pas créer une entreprise tout seul.

Concernant Home Diffusion, nous avons repris l’entreprise avec un ami et mon frère Arnaud qui avait dirigé l’entreprise avant le rachat. Nous avons deux bureaux (Rennes et à Paris) qui rassemblent quatorze personnes au total (commerciaux et logisticiens) et 1000 mètres carrés de logistique.

Concernant Défi RH, j’ai toujours été attiré par le monde entrepreneurial, avec un père qui avait lui-même créé son entreprise. Rien qu’en entrant chez PSA, après avoir fait des études de marketing, j’avais déjà envie d’entreprendre. J’y ai passé 4-5 ans. C’était intéressant pour moi de commencer par cette expérience salariale dans un grand groupe, cela m’a donné quelques outils.

Très vite après, en parallèle de cette activité salariale, on a créé il y a presque 15 ans maintenant le cabinet de recrutement avec Patricia ma sœur et Xavier, un de mes amis. En lisant un article, nous nous sommes rendu compte qu’il y avait clairement un manque en terme de suivi du travail des travailleurs handicapés. J’ai échangé avec Patricia, qui elle travaillait déjà dans le milieu des ressources humaines. Nous avons mixé nos profils et c’est elle aujourd’hui qui a pris la direction de Défi RH.

Il y avait 2 ou 3 cabinets comme celui-ci qui venaient d’être créés en France mais c’était vraiment récent. C’était un peu sous l’aubaine de la loi du 11 février 2005 sur l’égalité des chances, qui concerne les personnes en situation de handicap.

Depuis cette loi, une entreprise de plus de 20 salariés doit avoir plus de 6% de travailleurs handicapés. Pour résumer, une entreprise de 100 salariés doit avoir 6 travailleurs handicapés dans sa structure. Si elle n’en a pas, elle devra payer une contribution chaque année, qui va être de l’ordre de 5000-6000 € par unité manquante.

N’importe quel groupe peut faire appel à nous pour recruter des personnes handicapées, sachant qu’ils seront en concurrence avec des personnes qui ne sont pas en situation de handicap. Donc à nous de présenter les meilleurs profils.

Sachant qu’en plus du recrutement, on a deux autres activités importantes, la première étant la formation des managers ou des fonctions RH sur la politique de recrutement et l’intégration des travailleurs handicapés. La seconde concerne la sensibilisation, pour laquelle on a créé les « Défis Conf’ »,qui sont des conférences données par des personnes en situation de handicap, qui ont des profils assez extraordinaires, en étant performants dans leur domaine ; ils interviennent en entreprise sous forme de conférence avec un consultant du cabinet. La conférence s’appelle « Performance et Handicap ».

On a principalement des grosses boîtes qui font appel à nous, de plus de 1000 salariés, mais cela nous arrive d’avoir de plus petites structures, avec une centaine de salariés. Des entreprises plus petites ne peuvent pas toujours se payer les services d’un cabinet de recrutement.

Aujourd’hui, il y a 7 personnes qui travaillent au sein des 3 cabinets (Paris, Rennes et Bordeaux).

La conjoncture n’a pas toujours été évidente, comme en 2010, mais on a toujours été très raisonnables en terme de gestion et maintenant la croissance est régulière, ce qui est très positif pour l’avenir.

La 2ème activité est liée à mon parcours sportif : je suis sportif de haut niveau depuis maintenant 23 ans. J’ai toujours été fan de sport, depuis que je suis tout petit. J’ai commencé le tir à la carabine vers 7-8 ans et je suis rentré en équipe de France en 1997.

Sur le plan international, une de mes meilleures performances était en 2006, lors du championnat du monde, où j’ai terminé en individuel 2ème et 3ème des disciplines 10m et 50m et champion du monde par équipe. Depuis, j’ai participé aux jeux d’Athènes en 2004, de Pékin en 2006, de Londres en 2012 et de Rio en 2016. Lors de ces derniers, j’ai terminé deux fois 4ème. C’est une belle carrière sportive ponctuée de déceptions avec les jeux où je n’ai jamais réussi à monter sur le podium, mais heureusement il y a eu d’autres évènements internationaux qui m’ont permis de le faire (championnat d’Europe, du monde en 2014 et 4 autres victoires à l’international depuis 2010). Je continue pour le moment, avec comme objectif les prochains Jeux Paralympiques de Tokyo cette année.

C’est compliqué de tout mener en même temps, mais cela fait du bien car avec le sport, je n’ai à penser qu’à moi-même et à performer.

Il y a 2/3 ans, je m’étais vraiment posé la question de tout arrêter et j’ai fait une semaine de stage qui m’a fait beaucoup de bien, qui m’a permis de me relancer et qui m’a surtout permis de rencontrer ma compagne Gaëlle. Depuis, les résultats sont plutôt bons. Je suis dans une discipline sportive qui ne demande pas d’être jeune mais d’avoir plutôt de l’expérience, donc tant mieux !

Cette discipline, c’était à la base un non-choix, lié à mon handicap musculaire. De ce fait-là, je ne pouvais faire tous les sports que je voulais quand j’étais jeune. Donc ce sport s’est littéralement offert à moi, en étant totalement adapté à mon handicap. Si je voulais atteindre le haut niveau, il fallait que je continue dans le tir. C’est devenu un choix stratégique en grandissant.

J’ai eu de la chance d’avoir eu des parents qui m’ont permis de faire ce que je voulais, malgré mon handicap : j’ai fait du football, du tennis…Quand ils m’ont vu pratiquer le tir et performer, ils m’ont clairement encouragé à continuer. Encore aujourd’hui, à 41 ans, ils viennent chaque année au championnat de France m’encourager avec des amis. Ils sont totalement investis depuis le début. Quand j’échange avec les tireurs qui n’ont pas cette chance, je me rends compte que c’est une réelle force.

L’éducation que j’ai reçue m’a énormément aidée, quels que soient les niveaux de ma vie. Mes parents n’ont jamais fait de différence entre moi, mon frère et ma soeur. J’ai été intégré dès le plus jeune âge dans les mêmes groupes d’amis, les mêmes sorties. Il y avait forcément des choix à faire pour eux et je pense qu’ils ont fait les bons.

Ma dernière activité concerne le monde associatif. J’ai pris différentes fonctions en 2017, en étant élu vice-président de la Fédération Française Handisport et en devenant la même année secrétaire général du Comité Paralympique et Sportif Français. Cette dernière fonction m’a permis d’intégrer par ailleurs le conseil d’administration du Comité d’Organisation des Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris en 2024.

Cet engagement associatif a commencé en 2013, après les jeux de Londres. J’avais décidé, à l’issue de ceux-ci, d’arrêter ma carrière sportive et on m’a proposé de rentrer au comité directeur de la Fédération Française Handisport. Finalement j’ai repris ma carrière sportive, mais depuis je gère aussi ces activités en parallèle.

Je n’ai jamais eu d’envies spécifiques, ce sont surtout des opportunités qui se sont présentées à moi. Mon objectif est de réfléchir à comment développer ces structures-là pour servir au plus grand nombre et permettre aux personnes en situation de handicap de pratiquer un sport.

Mes semaines ne sont jamais très classiques et mixent les différentes activités : la semaine prochaine, par exemple, va démarrer par une journée au bureau à Paris, puis se poursuivre le mardi matin  par un entraînement avant un bureau du Comité Paralympique et Sportif Français. Le mercredi sera encore pour moi une journée de travail avant une réunion à la Fédération Française Handisport le jeudi et un départ aux Emirats Arabes Unis le vendredi matin pour un stage et une coupe du monde de tir.

J’ai de la chance de pouvoir compter sur des associés et des collaborateurs très présents, qui acceptent cette situation et me font confiance pour mener à bien mes engagements !

 

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A quels obstacles as-tu été confronté ?

Des obstacles, j’en ai tous les jours. Pour donner un exemple, hier j’étais sur un site sportif, il y avait une toute petite marche que mon scooter ne pouvait pas monter ; même situation en arrivant à la gare.

En terme de mobilité, j’ai commencé à conduire il y a 9 ans, et quand j’avais entre 18 ans et 32 ans, j’étais toujours dépendant de mes amis et de ma famille.

Il y a cependant des obstacles plus marquants, je pense à l’accès à mon DESS marketing à la Sorbonne ; je ne pouvais pas aller en cours, à l’exception d’une fois par semaine, ce qui n’est juste pas normal. Cela m’a marqué, j’ai trouvé ça difficile car j’étais clairement privé de mes cours et de cette ambiance de classe. J’espère que les choses ont évolué depuis car ce n’est pas entendable aujourd’hui d’être confronté à des formations non accessibles.

Comment surpasses-tu les difficultés que tu rencontres?

Dans tous mes parcours, je recherche systématiquement des moyens de compensation. C’est une réflexion que j’ai au quotidien : savoir comment je peux être le plus autonome possible.

Sur le plan sportif par exemple, comme je n’ai pas la force de porter ma carabine, je vais utiliser une potence belge (support avec un ressort permettant de porter le poids de ma carabine mais pas de la maintenir).

Au sujet des déplacements, ma voiture me permet d’être indépendant.

Pour m’habiller ou pour me doucher, j’ai une personne qui m’accompagne depuis plusieurs années lors de mes voyages sportifs ou professionnels. Cette tierce personne va compenser mon handicap pour me permettre d’accéder à une certaine égalité des chances.

Au niveau de mon job, quand j’ai postulé chez PSA, ils m’ont dit pendant 6 mois que je ne pourrai pas intégrer le groupe car les bâtiments n’étaient pas accessibles.

J’ai intégré une autre entreprise en parallèle et ils sont revenus vers moi 6 mois plus tard en me disant que cette situation n’était pas normale : ils souhaitaient me recruter et ils m’ont donc trouvé une autre fonction qui me permettait de m’intégrer. C’est comme ça que je suis rentré dans le marketing automobile.

Au final, il y a très peu de choses qui ne sont pas possibles pour moi aujourd’hui.

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Comment a réagi ton entourage face aux décisions que tu as pu prendre ?

Quand il y a des décisions un peu risquées, mon caractère va me permettre d’argumenter et d’expliquer pourquoi c’est une bonne décision. On ne m’encourage pas tout le temps mais je suis toujours soutenu, à partir du moment où j’ai décidé d’y aller.

Qu’est-ce que tout ça exige de toi ?

De l’organisation, pour pouvoir pratiquer mes 3 activités en parallèle.

De la patience, clairement liée à mon handicap, car je n’ai pas le choix, je dépend de certaines personnes.

De l’adaptabilité, avec le fait de compenser à chaque fois les situations dans lesquelles je me retrouve bloqué.

De la gestion du stress, quand je pratique mon sport à haut niveau ou quand je dois parler devant 100 personnes en conférence. Je fais beaucoup de préparation mentale, de la sophrologie pour mieux gérer les situations de stress.

Quels sont les moments clés dans ta vie qui ont pu expliquer tes choix ?

Quand j’avais 6-7 ans, j’étais sur les genoux de ma maman et j’avais dû lui dire que je n’avais pas de chance car je ne pouvais pas jouer au football comme mes amis (ou quelque chose dans le genre). Elle a été très transparente avec moi en me disant qu’en effet, je ne pourrai pas y jouer, mais que je pourrai faire probablement beaucoup d’autres choses. Ce moment m’a marqué car j’ai senti que je pouvais rebondir derrière ; cela m’a énormément apporté en terme de confiance et cela a forgé mon caractère.

Je pense aussi à une kermesse quand j’avais 8 ans, où j’avais gagné un concours de tir à la carabine. C’est comme ça que j’ai décidé de le pratiquer en tant que sport.

Sinon, pour Défi RH, je me souviens d’être dans le train avec ma sœur Patricia et lire cette loi sur l’égalité des chances. C’est à ce moment-là que je lui ai proposé de monter le cabinet ensemble, elle en tant qu’experte et moi en tant qu’entrepreneur.

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Quelles sont les rencontres qui t’ont fait le plus avancer ?

De belles rencontres, j’ai la chance d’en faire très souvent et il serait difficile pour moi de lister tous ceux qui m’ont permis d’avancer.

Clairement, ma famille et mes amis m’apportent beaucoup, ainsi que mes tierces personnes/accompagnateurs, qui m’aident au quotidien. J’ai connu l’un d’entre eux lorsqu’il s’occupait de mon grand-père (il avait 21 ans à l’époque) et je lui ai proposé d’abord de m’accompagner lors d’un entraînement ; de fil en aiguille, il a continué à me suivre. Grâce à eux, je n’ai pas de limite dans ce que je fais en terme de déplacements car ils m’accompagnent partout.

Ma plus belle rencontre à ce jour est certainement Gaëlle, qui partage ma vie depuis plus de 2 ans. Elle-même est une battante incroyable qui a su surmonter des épreuves difficiles de la vie (elle est également en situation de handicap, suite à un accident qui l’a rendu hémiplégique). Nous nous sommes rencontrés en Equipe de France de tir, qu’elle a intégré en 2017.

Quelles sont les valeurs qui guident tes décisions ?

J’aime bien ne pas porter de jugement sur les personnes, cela m’est extrêmement cher. Je me dis que tant que je ne vis pas la situation à laquelle est confrontée cette personne, je ne peux pas me mettre à sa place.

Je suis très attaché à la joie de vivre, j’ai besoin d’avoir des personnes joyeuses autour de moi.

La foi est aussi omniprésente au quotidien, de manière consciente et inconsciente selon les situations.

Au niveau entrepreneurial, j’aime la transparence et l’honnêteté, que les choses soient dites en face. C’est ce qui me fait également avancer.

Quels sont les enseignements que tu aurais envie de partager ?

Je n’ai pas de conseils à donner mais la seule chose que je peux dire, c’est que j’ai toujours fait ce que j’avais envie de faire, tout en restant prudent et raisonnable quand même 😉

Je crois aussi beaucoup en ce que je fais, dans ces différentes activités, et c’est certainement ce qui me permet de tenir dans les moments plus difficiles.

 

 

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