- Bonjour Juliette, peux-tu te présenter ?
J’ai 36 ans, je suis mariée et j’ai deux enfants, Erwan et Gabriel (10 et 7 ans). J’habite à Nantes depuis une dizaine d’années et j’exerce le métier de kinésiologue depuis 8 ans (septembre 2009).
- Peux-tu nous parler de ton parcours professionnel ?
J’ai un parcours d’ingénieur : prépa, Agro Paris, puis j’ai travaillé chez Danone à Paris.
Je suis fan d’équitation depuis mes 4 ans. Une de mes sœurs montait à cheval et j’ai probablement attrapé le virus en allant la chercher avec mes parents ;). Eux n’étaient pas du tout cavaliers.
Ce qui m’a semblé assez naturel quand j’ai commencé à réfléchir à ce que je souhaitais faire comme métier plus tard, c’était vétérinaire. Mes parents n’avaient probablement pas une vision réaliste de ce métier et ils ont eu peur que je m’ennuie dans cette voie. Ils m’ont plutôt conseillé des études d’ingénieur afin de m’ouvrir plus de portes, et j’ai fini par me ranger à leur opinion. Cela semblait un choix raisonnable.
Je suis partie à Henri IV en prépa, j’étais plutôt bonne élève mais cela s’est fini en médication lourde pour tenir le coup. La prépa, en soi c’est hyper dur, mais encore plus quand tu ne sais pas pourquoi tu fais ça…
J’ai atterri à l’Agro car il y avait un lien avec la nature et les animaux ; cela semblait avoir du sens. Sauf que c’est pour les manger ! La nuance est de taille. Je ne m’y suis pas du tout plu et je me demandais ce que je faisais là.
J’ai compris plus tard qu’à partir du moment où on m’avait dit que je me trompais pour véto, j’ai complètement lâché en me disant « moi je ne sais pas, l’adulte sait ». Je me suis mise en mode pilotage automatique.
Ce qui était paradoxal, c’est que chez Danone, je brillais, je n’avais que des indicateurs au vert. Les gens me renvoyaient une image hyper positive de ma vie, alors que moi, intérieurement, je sombrais. Plus on me disait ça, et plus je me disais que je n’étais pas normale, que je ne devais pas ressentir cela.
J’ai fini par atterrir chez un psy à l’époque de Danone. A chaque séance, il me posait systématiquement ces deux questions : dans la vie, qu’est-ce qui me faisait plaisir et qu’est-ce qui me procurait du déplaisir ? Je ne savais pas quoi répondre, j’étais perdue. Presque honteusement, j’ai fini par lui confier que j’aimais bien la nature et les animaux. J’avais l’impression que je n’avais pas le droit de répondre cela, que c’était hors sujet. C’est à ce moment-là que je me suis souvenue que je voulais être vétérinaire. J’ai eu une espèce de réveil total, comme une évidence en 4 par 3.
Du coup, j’ai démissionné de chez Danone (avril 2006), cela a correspondu au moment où mon mari a trouvé un job à Nantes. Je me suis mise à beaucoup monter à cheval, quotidiennement.
Entre-temps, la prépa était devenue commune entre Agro et Véto, et ils ont alloué 2 places par an à des médecins, des pharmaciens ou des Agro. J’ai fait un stage à l’école Véto de Nantes, pour préparer mon dossier, et j’ai été admissible. Mais je n’ai pas été prise (juillet 2006). A nouveau la fleur se fane, je me suis dit que je n’avais pas le choix, qu’il fallait que je recherche un boulot. J’ai trouvé chez Nestlé la copie conforme de ce que je faisais chez Danone. Je devais commencer en novembre. Mon mari m’a vue me refermer comme une huître, il m’a emmenée prendre un verre un soir et m’a dit « tu ne me refais pas ce que tu m’as fait à Paris, tu te débrouilles, on mangera des nouilles s’il le faut, mais tu trouves quelque chose qui te plaît ». J’ai appelé Nestlé le lendemain pour leur dire que je ne viendrais pas.
J’ai commencé un bilan de compétences chez Acte, en janvier 2007. Ce qui en est ressorti notamment est que l’entreprise n’est pas faite pour moi, que je veux me servir de mes mains, que mon travail ait du sens…Deux pistes étaient possible après ma phase réflexive : développement durable ou kinésiologie, que ma consultante connaissait un peu via des contacts personnels. J’avais une hernie discale depuis des années, qui m’avait poussée à commencer à découvrir cette jungle alternative…J’avais essayé une séance et j’avais trouvé que l’idée du test musculaire était séduisante. C’est une sorte de bâton de sourcier qui permet de traquer le stress. Le corps et la tête sont indissociables, et un travail psy ne permet pas forcément de débloquer le corps. On a longtemps cru que le cerveau était comme un chef d’orchestre qui dicte sa loi au reste du corps, mais on s’est rendu compte que c’est le corps qui émet des indications : fréquence respiratoire, pression artérielle, taux de sucre dans le sang… qui remontent au cerveau, lequel en conclut qu’on ressent telle ou telle émotion (stress, colère, tristesse…).
Je me suis renseignée et j’ai rencontré différents kinésiologues. J’ai fait un premier stage en mai 2007 dans un centre de formation à Nantes (l’ECAP). Je creusais en même temps la piste du développement durable, et par le réseau des anciens Agro, j’ai déjeuné avec un directeur de bureau d’études en environnement. Il m’a demandé de lui parler de moi, de la kinésiologie, et a vu mon œil s’allumer. Il m’a tout de suite dit de laisser tomber le développement durable, que cela m’ennuierait et que la kinésio avait l’air de m’éclater.
Il ne m’en fallait pas plus et je me suis décidée pour la kinésiologie.
Je me suis inscrite à l’Ecap, j’ai commencé ma formation (qui durait à l’époque 2 ans et demi). La formation finissait de se structurer. J’ai été la première diplômée de l’école, pourtant ce fut très difficile de trouver des clients, de passer du stade d’étudiant à celui de professionnel.
J’ai ouvert un cabinet en septembre 2009, au sein de l’école. J’ai eu en moyenne 3 rendez-vous par semaine, pendant cinq ans, et donc pas de salaire. Compliqué…Je n’avais pas les outils pour me faire connaître, et au contraire beaucoup trop de techniques, redondantes, pour être à l’aise dans ma pratique. Ce constat amer laissa place à une grande désillusion sur la formation que j’avais reçue.
Parmi toutes les techniques que l’on m’avait apprises, j’ai choisi en 2011 de n’en garder qu’une : le Touch for Health. C’est la base de la kinésiologie, celle avec laquelle j’étais la plus à l’aise, qui me semblait la plus cohérente et facile à expliquer. Avec cette technique, je trouvais la kinésiologie logique et efficace, même si on ne peut pas encore tout expliquer. Je suis allée beaucoup plus loin dans ma pratique avec cet outil, que je connaissais par cœur. J’étais plus à l’aise en consultation, mais cela n’a pas suffi à faire venir davantage de clients. A chaque fois que j’envisageais d’arrêter, des clients me rappelaient. J’ai donc continué.
Durant l’été 2013, je me suis cassé la main droite en planche à voile. Je ne pouvais plus monter à cheval, ni faire de kinésio. Grosse remise en question, pas mal de culpabilité de laisser mon mari assumer seul financièrement la famille depuis tout ce temps. A ce moment-là commence à émerger une nouvelle idée : moi qui connais bien le milieu équestre, n’y aurait-il pas quelque chose à faire pour le stress des cavaliers, qui subissent des chutes parfois traumatisantes et pour qui les enjeux se jouent sur quelques minutes en compétition ?
En septembre 2013, Matthew Thie, le fils du fondateur du Touch for Health, est venu à Nantes. Je ne l’avais jamais rencontré. Pendant le stage, il a rééquilibré l’énergie d’une personne qui semblait engloutie dans ses problèmes. J’ai réalisé qu’il n’y avait vraiment pas besoin de faire plus, il fallait juste refaire les niveaux et laisser le corps faire le reste. A la pause, je suis allée le voir pour lui demander son avis sur le fait d’utiliser uniquement du Touch en cabinet de kinésiologie. Il m’a encouragée à continuer et à venir me former en tant qu’instructrice chez lui, en Californie à Malibu. Mon mari m’a poussée à y aller, en me disant que c’était l’opportunité d’une vie et qu’on se débrouillerait pour trouver l’argent.
J’ai fait mon stage en juin 2014, et là cela a été une énorme claque (positive !). Le lieu magique et la culture américaine du « tout est possible » m’ont donné des ailes. En France, on me mettait des freins alors que là-bas, je n’avais que des possibilités. En Europe on est plutôt dans la préservation de notre histoire alors qu’eux essayent d’évoluer le plus possible, de grandir.
J’ai compris trois trucs là-bas : que pratiquer uniquement le Touch était une très bonne idée (même si en diffusant ce message, j’allais à l’encontre des écoles de kinésiologie généralistes, qui incitent à multiplier les stages au détriment de la maîtrise technique…et du porte-monnaie), que j’étais compétente et que je devais suivre mon idée avec les cavaliers.
Dans l’année qui a suivi, mon chiffre d’affaire a été multiplié par cinq. J’ai même commencé à enseigner le Touch, j’avais envie de partager cette pratique avec le plus grand nombre. Je trouvais cet outil hyper puissant, très accessible et précieux dans notre monde actuel.
J’ai aussi profité de l’année des jeux équestres mondiaux, qui étaient pour la première fois en France, en Normandie. J’y suis allée avec des amis, flyers à la main. Par hasard, j’en ai distribué un au président du comité régional d’équitation des Pays de Loire. Il m’a donné 10 minutes de temps de parole à l’Assemblée générale de ce comité. Grosse bataille intérieure car j’étais pétrifiée de stress. Heureusement, le matin, je me suis réveillée, le stress était parti, j’y suis allée et cela s’est hyper bien passé.
J’ai compris que cela ne servait à rien de partir du bas parmi les cavaliers et d’espérer que cela diffuse vers le haut, ça ne fonctionne pas ; il fallait tout de suite aller très haut, pour ensuite toucher toute la filière.
J’ai pu entrer à l’Ecole Nationale d’Equitation à Saumur, en contactant un écuyer du Cadre Noir.
Enfin, cerise sur le gâteau, j’ai rencontré Michel Asseray, directeur technique national adjoint du concours complet. J’ai suivi en Touch pendant un an Thomas Carlile, n°1 français. C’était une sorte de sésame pour moi, qui m’a ouvert encore d’autres portes.
Je dis souvent à mes étudiants qu’il faut marier leurs passions entre elles, c’est ça qui fait décoller.
Aujourd’hui, j’ai trouvé un cabinet dans le centre de Nantes pour mes consultations et je forme une vingtaine de personnes par an en louant des salles. Je vais d’ailleurs emmener une dizaine d’entre eux en juin à Malibu pour approfondir leur formation « à la source », et ça c’est une grande joie.
Je pense que ce cabinet mieux placé, le fait d’avoir gagné en assurance et de me faire connaître auprès des cavaliers m’ont aidée à trouver davantage de clients.
- A quels obstacles as-tu été confrontée ?
Appréhension de la prise de parole en public, et difficultés à monter ma clientèle.
La peur et l’envie sont souvent liées, et le fait de dépasser ses peurs libère une énergie incroyable.
- Comment surpasses-tu tes moments de doute ?
Aujourd’hui, je n’en ai plus beaucoup, je me sens portée par ma pratique, mes étudiants…
Au début, c’est surtout mon mari qui m’aidait à surmonter les moments difficiles, et les résultats obtenus avec le Touch m’encourageaient. J’en voyais les fruits, sur moi-même et sur les autres, et cela me boostait.
- Qu’est-ce que cela exige ?
Du courage !! Ce n’est pas l’absence de peur, c’est avoir peur et y aller 😉
De la persévérance et du travail, pour améliorer ma technique.
- Quelles sont les valeurs qui guident tes décisions ?
La tolérance, la bienveillance, la recherche de sens dans ce que je fais, la quête de l’expérience optimale c’est-à-dire le fait d’avoir une activité qui nous fait vibrer.
- Enfant, comment voyais-tu ta vie d’adulte ?
Je ne me souviens plus trop mais ce qui est certain, c’est qu’au final c’est mieux que tout ce que j’aurais pu imaginer !
- Quelles sont les rencontres qui t’ont fait le plus avancer dans ta vie professionnelle ?
Yves Diénal, le psychanalyste qui m’a suivie lorsque j’étais chez Danone ; Anne-Marie George, ma consultante lors de mon bilan de compétences, et enfin Matthew Thie.
- Quelles sont les leçons que tu as retenues ces dernières années ?
J’ai compris qu’avec des choses simples, on peut faire énormément.
Que la peur est un très bon guide dans l’entrepreneuriat : si tu as peur, vas-y !! C’est un très bon carburant.
Que parfois, quand cela ne marche pas, c’est qu’il faut savoir sortir de sa zone de confort. Il ne faut pas reculer car sinon on rentre dans un cercle négatif.
Qu’il faut essayer d’associer tout ce qu’on aime. Les gens n’osent pas car c’est trop beau pour être vrai. On a souvent peur de réussir.
Pour aller plus loin :
0 commentaire