- Bonjour Gabrielle, peux-tu te présenter ?
J’ai 33 ans et je suis la co-fondatrice des Visites Particulières, qui est une agence organisatrice de visites privées de lieux d’art et d’événementiel autour de l’art.
- Peux-tu nous parler de votre agence ?
On a commencé à bosser sur ce projet avec Franck, mon associé, en mars 2012, et les statuts ont été déposés en septembre de la même année. Il était mon voisin de palier et travaillait sur des salons d’art (milieu des galeries, des collectionneurs, du marché de l’art). Moi, je travaillais au Louvre principalement (milieu des expositions et des spectacles). On venait tous les deux du monde de l’art mais on avait des visions quasi diamétralement opposées. Une relation d’amitié est née autour de ça.
Quand j’étais au Louvre, il m’est arrivé régulièrement de faire des visites le mardi, qui est le jour de fermeture, et donc un jour extraordinaire, durant lequel les femmes de ménage passent, les oeuvres bougent, les experts s’affairent autour des tableaux, on va dans les réserves, on allume la lumière quand on rentre dans une salle…C’est ce que j’aimais vraiment dans mon précédent métier, tous ces moments d’exception, réservés aux professionnels du milieu. Je me disais qu’il fallait ouvrir ce monde à d’autres gens et j’ai réalisé que je savais comment faire et que j’étais certaine que cela pouvait intéresser beaucoup de monde. Franck partageait la même vision que moi car il avait lui aussi l’occasion d’organiser des visites privées, plutôt chez des collectionneurs ou des galeristes. Voilà comment est venue l’idée de créer l’agence.
On savait comment s’adresser aux musées, aux artistes, aux galeries pour aller chez eux et leur ramener des clients. On a très vite compris que pour que le projet tienne, il fallait viser un public très fortuné. Les musées seraient partants pour rencontrer de potentiels mécènes, les artistes de potentiels collectionneurs.
Le fait aussi de ne pas avoir encore d’enfants nous donnait une certaine liberté (de temps et d’argent). On s’est dit qu’il fallait le faire maintenant, que c’était possible à ce moment de nos vies.
On a pas mal tâtonné, rencontré un maximum d’entrepreneurs, découvert la BGE (Boutique de Gestion des Entreprises), et surtout on a reçu l’aide d’une personne qui était administratrice au Louvre, qui avait notre âge et qui avait envie de s’investir dans un projet. Mathilde est devenue notre 3ème associée et elle nous a énormément aidé à monter le projet, à rédiger nos statuts. Elle s’est beaucoup investi et nous a beaucoup cadrés, alors qu’elle était toujours en poste. Aujourd’hui elle conserve des parts mais s’est retirée de l’agence. On l’a associée à 2%, ce qui nous permet notamment de nous départager en cas de conflit (nous avons chacun 49%). De nombreuses rencontres nous ont permis d’avancer : notre site internet a été créé sur-mesure par un ami d’ami, un ami graphiste nous a également beaucoup aidé. Au-delà de l’aspect matériel, c’était super de bosser dans ces conditions, d’échanger jusqu’à pas d’heure autour d’un verre…
Il y avait quelque chose qui était important pour nous dans le montage de la boîte, c’était de ne prendre aucun risque financier. On est trop frileux tous les deux. On voulait qu’il n’y ait pas besoin d’argent personnel ni d’emprunt à la banque. On a donc commencé en facturant les prestations avant de les organiser. Notre modèle économique est simplissime : on fixe le prix d’une visite ou d’un événement, on répartit l’argent entre les différents lieux et les intervenants, et on garde ce qu’il reste.
Ce projet, comme tant d’autres, n’aurait pas pu voir le jour sans le système des indemnités de chômage. Je n’ai pas renouvelé mon dernier contrat car je voulais me lancer. J’ai essayé de travailler toute seule pendant trois mois et je me suis rendue compte que j’en étais incapable : si je n’ai pas un miroir dans mes réflexions pour échanger, je n’avance pas. Je ne savais pas par où commencer. Franck, très enthousiaste sur le projet, a finalement lâché son job pour me rejoindre six mois plus tard; entre-temps j’ai travaillé; je n’ai donc perdu que trois mois de chômage, mais qui auraient été précieux! Chaque mois compte !
Aujourd’hui, notre clientèle de particuliers vient essentiellement de l’étranger (90% de nos clients). Au contraire, les entreprises qui font appel à nos services sont en général françaises (banques privées, maisons de mode, compagnies d’assurance etc.). On démarche très peu mais on a travaillé notre référencement, elles nous trouvent directement sur Internet.
- A quels obstacles as-tu été confrontée ?
Les obstacles reviennent sans cesse quand on monte une entreprise !
Dès le départ, quand on a commencé le processus de recrutement, il nous fallait des guides sympas, érudits, débrouillards, parlant des langues étrangères, qui connaissent parfaitement leur sujet, qui n’ont pas d’ego, qui présentent bien, très chics, bref beaucoup de qualités qu’il est très difficile de rassembler chez une seule et même personne. On a rencontré beaucoup de guides au départ, mais aucun ne correspondait à nos exigences. A tel point qu’on s’est mis à douter de la viabilité de notre projet. On a mis du temps à se faire connaître auprès des guides et à trouver les premières perles rares. Maintenant on a environ 200 guides répartis dans toutes les régions françaises (Paris, Bourgogne, Champagne, Loire, Côte d’Azur, Provence, Bordeaux, Normandie…), à Londres, en Espagne, en Belgique… tous top et vraiment triés sur le volet. On en rencontre presque tous les jours pour continuer à recruter, ils sont le cœur même de notre activité.
Je pense aussi à la manière de trouver des clients au départ : nous avions tout misé sur les concierges d’hôtel, pensant qu’ils seraient nos premiers apporteurs d’affaires. On s’est présentés auprès de tous les grands palaces parisiens, qui nous ont très bien reçus, de manière très enthousiaste ; mais ils nous ont finalement envoyé très peu de clients.
Heureusement, grâce à de petites campagnes presse, notre premier gros client nous a découvert : c’était une agence de voyage de luxe. Aujourd’hui, la plupart de nos clients viennent de ces agences et de conciergeries internationales, auxquelles on n’aurait pas pensé dès le départ.
Enfin, autre obstacle, de taille, les attentats du 13 novembre.Ils nous ont beaucoup touchés, comme tous les acteurs du tourisme en France. Le lendemain du Bataclan, tout notre carnet de commande, qui était plein jusqu’à avril, a été annulé. On savait depuis longtemps que les attentats étaient notre talon d’Achille et pourraient nous faire couler. On s’en est sortis grâce à notre offre dédiée aux entreprises, qu’on avait développé un ou deux ans avant. Nous avons organisé de nombreuses soirées et événements cette année-là (dîners d’exception, galas, séminaires, cadeaux d’affaires…) et heureusement. On a réussi à garder notre équipe au complet sans avoir à baisser nos salaires. Et au passage, cela nous a permis de développer cette nouvelle activité très complémentaire de nos visites, et qui nous permet d’être encore plus créatifs.
- Comment surpasses-tu tes moments de doute ?
Au début, je remettais facilement tout en question et je me demandais ce qu’on faisait. Le fait de voir cette entreprise comme un jeu au départ et de ne pas avoir investi d’argent personnel nous a beaucoup aidé. Puis, quand cela a commencé à marcher, il y a eu un moment où l’on n’avait pas encore assez de revenus pour se verser un salaire et où mon chômage se terminait ; j’ai eu trois mois un peu compliqués, mais heureusement le projet décollait sous nos yeux, le doute était déjà loin.
Sinon, au quotidien, quand j’ai des doutes, j’échange beaucoup avec mon associé. On se soutient énormément.
- Qu’est-ce que cela exige ?
De l’audace et une grande adaptabilité. Au départ on avait lancé 6 parcours de visites très précis et on pensait que notre boîte allait reposer là-dessus. Aujourd’hui, on doit avoir au moins 150 offres à notre catalogue, car petit à petit, il a fallu répondre à la demande.
Cela demande aussi de la remise en question : on est confrontés à nos propres défauts, qu’on ne connaissait pas forcément avant. C’est toujours avec les autres qu’on grandit, clients ou partenaires au travail.
- Quels sont le(s) moment(s) clé(s) dans ta vie qui peuvent expliquer ton choix ?
C’est surtout le fait de me retrouver auparavant dans des lieux qui m’intéressaient, mais avec des perspectives d’évolution très limitées et des personnes qui ne me semblaient pas épanouies dans ce qu’elles faisaient. L’impulsion de départ venait de ce constat-là. Je voulais sortir du système.
- Quelles sont les valeurs qui guident tes décisions?
L’honnêteté, la sincérité, la fidélité avec nos clients et nos partenaires, l’attention portée à nos guides.
- Enfant, comment voyais-tu ta vie d’adulte ?
Je crois que je me voyais working-girl, en tailleur pantalon, voyageant beaucoup. J’étais assez ambitieuse. Depuis, j’ai mis ça un peu de côté au profit de mon épanouissement personnel. Et j’en suis d’autant plus heureuse.
- Quelles sont les rencontres qui t’ont fait le plus avancer dans ta vie professionnelle ?
Il y a bien évidemment Franck et Mathilde, mes associés, mais aussi beaucoup de profs et d’anciens boss; je pense notamment souvent à une de mes anciennes responsables, quand je manage aujourd’hui. Elle ne m’accablait pas quand je faisais une erreur, je travaillais en confiance avec elle. Je me revois faire la même chose avec mon équipe et je vois le même bénéfice opérer.
- Quelles sont les leçons que tu as retenues ces dernières années ?
J’ai retenu que cela vaut le coup d’essayer, ce qui ne veut pas dire que tout est possible, mais pas loin : tout est une question de volonté et d’adaptabilité.
Et aussi, que je ne me suis jamais sentie aussi libre : dans quelques années, si j’ai envie de faire autre chose, je n’aurai pas peur.
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